Mon père, né en 1895, à Miniac-Morvan (Ille-et-Vilaine) a fait la Grande Guerre dans sa totalité. Il a été blessé trois fois et a eu la chance de rentrer chez lui, vivant. Je suis né en 1926 et j'ai donc pu l'entendre - quand j'ai eu l'âge de raison - raconter ses "mémoires de guerre" si je puis dire. Il était Directeur d'école libre et responsable d'une association d'anciens combattants (UNC) dans une petite commune bretonne. C'est surtout entre eux qu'ils se rappelaient ces années passées dans les tranchées. A la maison, il était plus discret. Cependant un de ses récits est resté marqué dans ma mémoire jusqu'à ce jour. Écoutez plutôt:
"Nous étions à Verdun dans une tranchée à quelques centaines de mètres de l'ennemi. Nous les entendions parler et ce devait être la même chose pour eux. Un plan d'eau nous séparait. Un soir, la nuit tombée, je suis allé avec un camarade pour puiser de l'eau et nous nous sommes trouvés face à face avec deux " boches" qui venaient faire la même chose. Notre réaction première a été de faire rapidement demi-tour lorsque nous avons entendu une voix s'exprimant dans un français très accentué. "L'eau est à tout le monde, camarades. Ne craignez rien de notre part. Bonne nuit, camarades". Abasourdis, nous n'avons su que répondre Bonne nuit également. De retour dans notre tranchée, nous nous sommes posés la question: " Que faisons-nous ici, les armes à la main? Et on va s'entretuer sans scrupule si l'ordre nous en est donné.
En 1956, je me trouvais à Offenbourg, militaire de carrière, et mes parents sont venus passer quelques jours avec nous. Ma mère est venue, après hésitation, n'ayant pas envie de passer cette "sale frontière"; mon père, lui, n'avait qu'une pensée en tête: Venir chez les "boches". Je lui conseillais d'éviter ce vocabulaire durant son séjour.
Je l'ai emmené dans un café pour qu'il se rende compte que la vie était la même qu'en France. Parmi les clients il y avait un homme d'une soixantaine d'années qui lisait son journal. Mon père écoutait sans comprendre quand tout à coup le monsieur au journal s'est avancé vers nous en lui tendant la main qu'il n'a pas refusée et s'est présenté, dans un français correct, "je suis un ancien de Verdun. Je pense que vous en êtes aussi? - Oui ! En quelle année? Je les ai laissés à leurs souvenirs, le sourire aux lèvres et se tapant sur l'épaule. Ils se sont promis de se revoir le lendemain. En se quittant, l'Allemand lui dit: " Gott mit uns! ".
Arrivés à la maison, mon père me dit: " Tu vois! il m'a rappelé les gars de l'étang à Verdun".
Pourquoi il t'a dit "Gott mit uns" en te quittant?C'était une devise qui était inscrite sur la boucle de leur ceinturon et il ajoute:" peut-être aussi parce que nous sommes revenus vivants. Ce serait bien si on pouvait faire une association d'anciens combattants franco/allemande. Cela pourrait une bonne voie pour la Paix."