Pour ceux qui sont revenus : ceux qui ont fait les tranchées, ceux-là étaient fichus, physiquement, moralement.
Au village, il y a eu des gens gazés. Ceux qui se sont battus et qui sont revenus, sont revenus méchants, révoltés, prêts à en découdre à chaque instant, pour une discussion de bistrot, pour un bout de terrain, pour une borne, prêts à sortir le fusil.
Révoltés contre quoi ?
"J'ai fait la guerre, on ne va pas m'en raconter, tu ne vas pas me dire, etc." Ils étaient d'autres hommes. Etre confrontés à des conditions inhumaines pendant 4 ans, ils en étaient transformés, ils étaient devenus un peu des bêtes sauvages.
Par exemple, au moment du remembrement de Cergy, on a remembré la plaine en 1951; d'ailleurs c'était un fouillis de petites parcelles incultivables; il y a eu des bagarres internes, des vieux qui tenaient à leur poirier, sortaient le fusil; étaient prêts à tuer, comme en 14. Si tu touches à mon poirier, je te tues.
J'avais un oncle mauvais, innapprochable; bardé de décorations. Il avait fait Verdun, la bataille de l'Argonne. C'était un héros, il est revenu à moitié fou.
Cela, c'est quand ils étaient acceptés, quand on ne les traitait pas de simulateurs : regardez l'horreur, les mutineries de 1916, il y en a eu 800 qui ont été fusillés. Il n'y en a pas eu du village.