de Pierre Moissac, Cergy. le 28 Juin 2008, 21:43
Une vieille maison alsacienne à colombages, géraniums aux fenêtres et un escalier qui craque pour mener aux chambres. Au rez-de-chaussée, une grande pièce avec, au fond, une alcôve où se réfugient le grand-père et la grand-mère dès la tombée du jour. A l’entrée de ce séjour, à droite, derrière la porte, une grande photographie sous verre, trône au-dessus d’une machine à coudre Singer. Dans le cadre, des conscrits sur plusieurs rangées posent pour la postérité. Les petits devant, les grands derrière. Ces derniers sont sans doute perchés sur des bancs pour occuper tout l’espace et faire honneur au bel uniforme. Ils arborent tous une petite casquette avec fierté, comme s’ils venaient tout juste d’être habillés pour la circonstance. C’était la classe guère éloignée de 1914. Bientôt ils seront dans les tranchées et auront tôt fait d’oublier ce moment de fierté militaire.
Nous qui regardions cette grande brochette de jeunes soldats allemands parés pour aller au front, nous tentions de reconnaître les traits du grand-père. De le détacher de tous ces visages inconnus, figés afin de respecter les consignes du photographe.
Pour nous, enfants en vacances chez nos grands-parents en Alsace, c’était le seul souvenir de la Grande Guerre. Le principal intéressé ne se répandait pas en souvenirs de guerre. Nous savions seulement que les « gaz » avaient atteint ses poumons et qu’il en subissait les conséquences pour sa santé. Le grand-père gardait ses souvenirs dans la tête. Ils lui appartenaient entièrement. Au point de faire intimement partie de lui-même. Demeurait seulement, offerte à tous les regards, la photo de groupe encadrée, fixée au mur au-dessus de la machine à coudre Singer, derrière la porte.